A :

Les conservatoires, outils de mixité sociale et d'émancipation

06/12/2022

Inclusion des personnes en situation de handicap, ouverture à d'autres publics et diversification des modalités d'intervention… Les conservatoires ont fait ces dernières années beaucoup d'efforts pour démocratiser les pratiques artistiques. Bien loin des clichés et accusations d'élitisme qui continuent parfois à leur être adressés.

Ils modulent les tarifs en fonction des revenus, multiplient les initiatives en faveur des publics éloignés, comme par exemple les dispositifs Demos ou Orchestre à l'Ecole… Les conservatoires sont aujourd'hui un outil précieux des politiques territoriales de démocratisation des pratiques artistiques.

Quiconque s'intéresse un jour aux conservatoires ne peut qu'être frappé par la variété des situations, projets pédagogiques, contextes géographiques (rural ou urbain), tailles, etc. Sans oublier la distinction introduite par le décret du 12 octobre 2006 entre les conservatoires à rayonnement régional (CRR), départemental (D), intercommunal (CRI) et communal (CRC)…

Cette diversité est indéniablement une richesse, qui traduit une bonne adaptation au contexte local…"Chaque établissement s'organise en fonction de son territoire et interagit avec les acteurs locaux. C'est indéniablement un plus", analyse Aurélien Daumas-Richardson, directeur du Conservatoire & Orchestre de Caen et membre du bureau de l’association professionnelle Conservatoires de France. Mais cette bigarrure du paysage ne présente pas que des avantages. L'image que le grand public se fait de ces établissements est hétérogène, voire contradictoire. Difficile de se faire une idée entre les projets affichés (démocratiser l'accès aux pratiques artistiques du plus grand nombre, favoriser l'intégration des populations) et les stéréotypes qui leur collent à la peau, plus têtus qu'un bout de sparadrap sur le visage du capitaine Haddock : leur réputation d'élitisme, leur prétendue cherté, l'idée qu'ils seraient fréquentés pour l'essentiel par les familles les plus cultivées et aisées.

Elitisme, ou exigence pour tous ?

Il suffit pourtant de franchir les portes d'un conservatoire d'une ville populaire (par exemple celui de Pantin, cf. lien sur article) pour comprendre que le conservatoire peut aussi être un puissant outil de mixité sociale. "L'élitisme est une critique récurrente pour les conservatoires … Mais la réalité de nos initiatives et pratiques va le plus souvent à l'encontre d'une telle affirmation!", affirme Philipe Tormen, ancien directeur du conservatoire de Pantin de 2016 à 2019 et membre fondateur d'Enseignement artistique en mouvement. Un collectif créé en décembre 2020, dans le vif de la crise sanitaire, pour réfléchir sur l'évolution des métiers face à la multiplicité des enjeux auxquels les directeurs de conservatoire sont confrontés.

Ce constat rejoint celui d'Aurélien Daumas-Richardson… "Les conservatoires, notamment les" grands paquebots", peuvent avoir l'image d'une forteresse imprenable pour certains, mais certains clubs de sport aussi! Ce qui n'est pas contestable en revanche, c'est que depuis une vingtaine d'années, ils ont fait beaucoup de travail pour s'ouvrir, tout en conservant l'ambition de transmettre un patrimoine vivant, l'art classique". Et de préciser "Il ne faut pas confondre élitisme et exigence. L'ambition des conservatoires, ce n'est pas l'élitisme, c'est l'exigence pour tous, ce qui est tout à fait autre chose. Aujourd'hui, on voudrait apprendre à jouer d'un instrument en dix leçons. Notre époque est séduite par la vitesse, la culture instantanée. à l'opposé du temps long de l'apprentissage qui est le notre".

Une personnalisation croissante des parcours

L'exigence pour tous se conjugue avec une personnalisation croissante des parcours. "Mener tout le monde au plus haut est irréaliste. La grandeur des conservatoires, c'est de former en un même lieu, avec les mêmes professeurs, des musiciens professionnels et des amateurs. S'ajoute à cela désormais le premier étage de la fusée : les actions de sensibilisation par exemple auprès des écoles. Nous recherchons avec les collectivités le bon dosage entre ces trois pôles", note Aurélien Daumas-Richardson.

Car l'objectif pour les conservatoires reste inchangé : aller toujours plus loin dans la démocratisation et la mixité sociale et de toucher les publics "éloignés" des pratiques artistiques. Le Conservatoire & Orchestre de Caen propose ainsi aux élèves des cycles de découverte de la musique au sein des écoles et les classes sont invitées à des concerts gratuits.

Dégressivité des tarifs et coups de pouces aux quartiers prioritaires lors des inscriptions

Pour que l'argent ne soit pas un frein, les conservatoires ont fait beaucoup d'efforts ces dernières années, modulant leurs tarifs en fonction des revenus selon les barèmes de la CAF. « Héritiers du conservatoire de Paris, créé en 1795, nos conservatoires se sont multipliés de manière fulgurante dans l’hexagone sous l’impulsion de l’Etat. Puis, au fil des décennies et des phases successives de décentralisation, le relais a été assuré par les départements et le bloc communal. Nous sommes donc passés d’un « Etat demandeur payeur » à un « Etat décideur non-payeur ». Plus récemment, les conséquences de la loi Notre, en 2015, se sont traduites par de fortes baisses voire des arrêts de dotations de l’Etat pour les CRR et CRD. Les collectivités ont dû absorber la différence",  analyse Philippe Tormen.

C'est ainsi qu'Est Ensemble, l’Etablissement public territorial de l'Est Parisien, a hérité de huit conservatoires aux grilles tarifaires extrêmement diverses, dont celui de Pantin. "Nous avons donc fait un gros travail pour harmoniser les tarifs et gommer les inégalités territoriales", poursuit Philippe Tormen.

Certains conservatoires proposent aussi des stages gratuits par exemple pendant les vacances scolaires pour les élèves qui ne sont pas inscrits au conservatoire. D'autres prennent en compte les critères sociaux dans les priorités d'inscription. "Avant, le principe au conservatoire de Pantin, c'était " le premier arrivé est le premier servi". Il y a quelques années, nous avons introduit un système de scoring. Venir d'un quartier prioritaire de la ville donne des points, au même titre que le principe de continuité pédagogique (un enfant qui a commencé un cycle est prioritaire). C'est beaucoup plus transparent et mieux accepté par les familles", commente Laurie Merle, responsable de l'action culturelle et de la diffusion du conservatoire à rayonnement départemental de Pantin.

Loin d'être des citadelles isolées du monde, les conservatoires font partie d'un territoire, d'un réseau d'acteurs locaux associatifs, artistiques et sociaux. Acteurs qui n'hésitent pas à les solliciter et enrôler dans des partenariats. "Pantin a été une très belle expérience en tant que directeur. Médecins Sans Frontière y a ouvert en 2017 un centre d'accueil de jour pour les jeunes migrants mineurs isolés. L'association est venue nous demander d'aider les jeunes à restituer leur parcours de migration, via le mode d'expression qui leur était le plus naturel, la musique, la danse et les arts plastiques", se rappelle Philippe Tormen. Et d'ajouter… "Ce projet était particulièrement en phase avec ce CRD, qui a une histoire très ancienne d'innovation pédagogique et a ouvert en 1972 l'un des tous premiers studios et cursus pédagogiques français de création en musique électroacoustique, sous l'impulsion du compositeur Michel Decoust".

Orchestres à l'école et Démos, deux programmes au service d'un même but : démocratiser l'accès à la musique

Et Pantin n'est pas un cas isolé… Au fil des années, les conservatoires ont développé des partenariats féconds avec le tissu social et culturel. A commencer par ces deux formidables leviers que sont les orchestres à l'école (voir interview de Marianne Blayau, sa déléguée générale) ou le dispositif d'éducation musicale et orchestrale à vocation sociale Démos, initié par la Cité de la musique-Philharmonie de Paris en 2010.

Deux expériences différentes dans leurs modalités et leur déploiement, mais qui vont dans le même sens : permettre à des enfants qui n'auraient sans doute pas développé de pratique musicale d'apprendre à jouer d'un instrument au sein d'un orchestre.

Le Conservatoire & Orchestre de Caen et la caisse d'allocations familiales du Calvados, en partenariat étroit avec la Philharmonie de Paris ont ainsi démarré le projet Démos Caen la mer à la rentrée 2021. Une centaine d'enfants, repérés au sein de sept structures socio-culturelles du territoire (centres d'animation, centres socio-culturels ou MJC), suivent pendant trois ans des ateliers hebdomadaires animés par 14 intervenants instrumentistes. "Le premier concert a eu lieu en juin dernier, au théâtre de Caen, et nous avons été "bluffés" par ce qu'ils avaient réussi à faire. Pour les familles, c'était parfois la première fois qu'elles se rendaient au théâtre de la ville". La troisième année, fierté ultime, les enfants joueront dans la grande salle de la Philharmonie de Paris…

Un joyau à préserver

Face à de telles expériences, comment douter encore de l'importance des conservatoires dans les politiques territoriales de démocratisation culturelle et artistique et de leur rayonnement, au delà des classes conquises d'avance ? "En France, notamment grâce au plan Landowski de 1969, qui a joué le rôle d'un plan Marshall pour nos établissements, nous bénéficions du plus grand réseau d'Europe en nombre d'établissements", note Philippe Tormen.

Un joyau à protéger et préserver… "Le conservatoire est une école de la République. L'art, un outil d'émancipation qui éveille la curiosité, le sens critique, le partage, l'écoute, et la pratique du collectif", poursuit Philippe Tormen. D'où l'importance cruciale des formations ou de la mise en réseau des directeurs de conservatoire. "Aujourd'hui, c'est très difficile d'être directeur de conservatoire et beaucoup jettent l'éponge devant l'ampleur de la tâche qui leur incombe. Il faut les outiller…". Le CNFPT y travaille et propose des modalités d’accompagnement multiples et adaptées aux profils de chacun (lien sur article offre)…

Pour développer la pratique musicale des personnes en situation de handicap, le conservatoire a nommé une référente handicap chargée d'adapter les parcours à chaque élève.

Il y a trois ans, Suzanne Dijoux, professeur de piano au conservatoire, endossait la casquette de référente handicap au conservatoire de Sucy-en-Brie. "Mais mon intérêt pour ces questions est plus ancien. Je travaille depuis longtemps avec l'association Musique et situation de handicap (Mesh), qui œuvre depuis trente ans pour développer la pratique musicale des personnes handicapées et forme les professeurs des conservatoires et écoles de musique à les accompagner", précise-t-elle.

Sa désignation comme référente handicap permet de structurer la démarche. "Avoir un référent handicap n'est pas une obligation pour les structures comme la nôtre, mais c'est une recommandation "meshienne". L'implication du directeur est également décisive. A Sucy-en-Brie, nous avons bénéficié du fait que Pascal Levert, le directeur du conservatoire jusqu'à cette année, était très impliqué sur ces problématiques", témoigne-t-elle.

Adapter le conservatoire à l'élève et non l'inverse

Le rôle du référent est double. Accueillir les familles, concevoir avec elles un parcours adapté ; aider les professeurs de musique à accueillir ces publics, les outiller et les accompagner. Mais aussi être en veille et sensibiliser les enseignants, par le biais de la formation continue, aux problématiques pédagogiques liées aux différents profils d’élève en situation de handicap. "L'établissement doit s'adapter à la personne en situation de handicap, et non l'inverse".

Cette philosophie était déjà celle de la première loi sur le handicap de 1975, qui a fixé comme objectif l'accueil de ces publics de préférence dans les classes "ordinaires". "Mais elle a mis beaucoup de temps à sortir du champ de l'éducation nationale pour gagner le monde de la culture et les conservatoires. Les décrets n’ont pas tous été publiés. Il a fallu attendre trente ans pour que nous aussi, nous ayons un cadre législatif : la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, qui garantit l'accès à l'enseignement musical de tout élève porteur d'un handicap", ponctue Suzanne Dijoux.

Pour les familles, tout commence par un premier rendez-vous avec Stéphanie Dijoux. Objectif ? Identifier les besoins et désirs des enfants, cerner leurs compétences sensitives, sensorielles, motrices, affectives, sociales et construire ensemble un parcours adapté. "Chaque situation de handicap est particulière… Notre démarche rappelle celle des Maisons départementales des personnes handicapées : déployer les moyens qui vont permettre de compenser le handicap et de rendre l'apprentissage plus confortable" explique-t-elle.

Trouver la clef de chaque élève

L'adaptation du parcours peut se traduire par des cycles plus longs, pour tenir compte du rythme propre à l'élève, des cours allégés, un aménagement des équipements, parfois des instruments, etc. "Notre logique est celle de l'inclusion et non de l'intégration. Les enfants porteurs de handicap suivent le même enseignement que les autres enfants et non pas un "conservatoire bis"".

L'essentiel étant d'aider les enseignants à développer une pédagogie adaptée à chaque élève. "Même si l'expression peut légitimement faire penser à un pléonasme… L'essence même de la pédagogie, face à n'importe quel élève, n'est-ce pas de s'adapter à lui ? Chacun a sa manière d'apprendre et de mémoriser les choses. Cela peut être visuel, auditif, kinesthésique et chaque fois, l'enseignant doit chercher la clef", note Suzanne Dijoux.

Un métier que le handicap, physique ou psychique, les troubles d'apprentissage rendent néanmoins encore plus compliqué. D'où la nécessité de former les professeurs et de les outiller. "Cela peut passer par des techniques comme la conduction osseuse, pour les enfants sourds, qui permet d'entendre les sons par les vibrations, des équipements comme les planchers vibrants, dans la lignée du travail de la percussionniste sourde Evelyn Glennie, etc. ", explique Suzanne Dijoux. Et d'ajouter "C'est du cas par cas, si un besoin se présente, nous mobilisons des nouveaux moyens et des sources de financement. ".

Trois ans après la désignation d'une référente handicap, une trentaine d'élèves en situation de handicap ou affectés par des troubles de l'apprentissage sont inscrits au conservatoire, sur environ 500 élèves. Soit un pourcentage proche de la part de la population française en situation de handicap, évaluée à 10%.

Une réussite également perceptible dans les récits des familles à qui il arrive de dire "Heureusement qu'il y a le conservatoire, car à l'école, c'est plus compliqué". Et qui dépasse la frontière des valides/non valides. Quand on travaille sur l'inclusion, on travaille pour l'ensemble du public. Tout le monde tire bénéfice de cette approche qui vise à s'adapter aux élèves. "C'est un peu le même principe qu'en urbanisme : en rendant la ville plus accessible, on la rend plus confortable pour tous ses habitants, les familles avec des poussettes, les personnes âgées, etc", analyse Suzanne Dijoux.

Le handicap, qui questionne et bouscule souvent les pratiques, est aussi une chance pour que l'enseignant développe sa créativité pédagogique, au bénéfice de tous.

Comment toucher des publics qui n'auraient pas forcément poussé la porte du conservatoire? L'établissement public territorial Est Ensemble a fait le pari de réunir la piscine rénovée, rebaptisée Alice Milliat et le nouveau conservatoire de Pantin Jacques Higelin.

D'un côté une piscine, élément patrimonial emblématique de la ville construit en 1937, qui attendait depuis plusieurs années sa rénovation. De l'autre, les quatre disciplines (musique, danse, théâtre, arts plastiques) du conservatoire de Pantin, réparties sur plusieurs lieux devenus pour certains exigus. Pourquoi ne pas mettre tout cela "ensemble", en restant fidèle au nom même, « Est Ensemble », que les 9 villes de l'Est parisien ont choisi lorsqu'elles ont décidé, en 2010, de se rapprocher ?

Faciliter le passage d'un univers à l'autre

"Réunir ces deux espaces va faciliter le passage d'un univers à un autre. Les publics sont très différents : la piscine est un point nodal de Pantin. Les anciens se souviennent d'y avoir appris à nager, elle accueille un public très jeune, avec les bébés nageurs notamment. C'est forcément intéressant d'adosser le nouveau conservatoire à elle", explique Laurie Merle, responsable de l'action culturelle et de la diffusion du conservatoire à rayonnement départemental de Pantin.

Est Ensemble espère que de ce rapprochement vont émerger des choses nouvelles, plus d'échanges encore entre les quatre disciplines du conservatoire et donner l'envie à des familles en visite à la piscine d'explorer les ressources du conservatoire. "C'est important, car malgré tous nos efforts pour attirer d'autres publics que notre public habituel, il subsiste des freins, notamment psychologiques. Certaines familles se disent que le conservatoire n'est pas pour elles, que c'est perdu d'avance. Dès la première étape, cela bloque ", analyse Laurie Merle.

La gratuité de tous les spectacles proposés par le conservatoire, et les tarifs d'inscription très dégressifs pratiqués par Est Ensemble, ne suffisent pas : il faut aussi créer l'occasion de la rencontre. Un objectif pris en compte par le projet architectural du nouveau conservatoire adossé à la piscine. "Un salon commun fait le lien entre les deux publics. Un piano y sera installé à demeure et nous y organiserons des concerts, comme lors de l'inauguration du conservatoire, le 15 octobre 2022", note Laurie Merle.

Une diversité d'usages et de publics

Cette proximité ouvre tout un champ de possibles limité, malgré tout, par des contraintes réglementaires et acoustiques. "La circulation entre les deux espaces ne peut pas être totalement libre. La piscine est par essence un lieu ouvert au public, tandis que le conservatoire est soumis au plan vigipirate". Par ailleurs, difficile d'imaginer des concerts accompagnant le va et vient des nageurs. "Le bâtiment n'est pas prévu pour cela et sa résonance est particulière. Mais on peut imaginer du chant, la rencontre entre les danseurs du conservatoire et ceux qui font de la danse synchronisée, etc.". De leur côté, les professeurs du conservatoire ont décidé de travailler cette année le répertoire musical lié à l'eau…

Pour s'ouvrir à une diversité d'usages et de publics, le nouvel équipement peut aussi compter sur un auditorium de 230 places. Un atout pour les élèves du conservatoire, qui vont pouvoir restituer leur travail dans des conditions optimales et découvrir des artistes, mais aussi pour la population… "L'idée est de faire de ce nouveau lieu un espace de vie et de brassage, de développer sa capacité à accueillir les habitants et les acteurs culturels et sociaux de la ville", avance Charline Nicolas, adjointe au maire déléguée aux cultures, aux mémoires et aux patrimoines de la ville de Pantin.

Permettre à des enfants qui n'en auraient peut-être jamais eu l'occasion d'apprendre à jouer d'un instrument au sein d'un orchestre, au sein même de leur classe : en 20 ans le projet d'Orchestre à l'Ecole a su créer une puissante dynamique territoriale. Récit de Marianne Blayau, sa fondatrice…

Pourriez-vous nous raconter comment est né le projet "Orchestre à l'Ecole" et quel était son esprit ?

C'est un projet social : donner aux jeunes qui ont difficilement accès à la pratique musicale l'opportunité d'apprendre à jouer gratuitement d'un instrument. Pour cela, on transforme en orchestre durant trois ou quatre ans une classe entière d'une école primaire ou secondaire. Le projet est né à l'origine d'une expérience Japonaise, menée par un fabriquant de musique, Yamaha, qui a commencé à développer des orchestres à l'école. En France, l'association Orchestre à l'Ecole a démarré en 1999 à l'initiative de la Chambre syndicale de la facture instrumentale, qui est partie du constat que la pratique musicale était beaucoup moins répandue en France que dans d'autres pays. Elle s'est rapprochée de l'éducation nationale, des conservatoires et des collectivités territoriales pour monter le projet.

Au départ, la démarche était très expérimentale. Au fil des ans, nous avons fini par construire un modèle à la fois souple et solide qui s'adapte à beaucoup de situations. Jamais nous n'aurions pensé qu'il se développerait comme cela. Aujourd'hui, 150 000 enfants ont déjà bénéficié de ce dispositif, à travers 1540 orchestres à l'école. Nous ne sommes pas cantonnés aux villes, loin de là : 60 % des orchestres sont situés en zone rurale ou très rurale. En cohérence avec l'idée d'aller vers ceux qui, sans ce dispositif, n'auraient pas eu l'occasion d'apprendre à jouer d'un instrument…

Comment fonctionne un orchestre à l'école ?

Tous les élèves d'une même classe de primaire ou de collège apprennent, au rythme de deux heures par semaine, à jouer d'un instrument avec des professeurs de conservatoire qui développent une pédagogie adaptée, différente de celle du conservatoire.

Les enfants jouent dès le départ en formation orchestrale et apprennent en parallèle la lecture de la musique et la technique instrumentale. Ils sont ainsi immergés, immédiatement, dans une pratique collective de la musique. C'est important, car au delà de l'apprentissage de la musique, ils découvrent tout un ensemble de choses, comme faire groupe, respecter les autres, conjuguer les efforts, travailler individuellement pour une réussite collective. Vivre cette expérience, c'est comprendre que pour atteindre l'harmonie, tous les éléments sont indispensables.

Qui est à l'origine de ces initiatives ?

Le moteur du dispositif, ce sont les acteurs locaux. Derrière chaque orchestre, on retrouve le même trio : une collectivité, un conservatoire ou une école de musique selon les contextes et un établissement scolaire qui co-construisent un projet territorial.

Chaque orchestre est unique. Nous sommes convaincus qu'il n'y a pas une seule façon de faire et qu'il faut laisser faire, localement, ce que les acteurs ont envie de faire. Ils apportent leur créativité : le style de musique ou la famille d'instruments qu'ils aiment, la participation à tel ou tel évènement, le projet pédagogique de l'établissement scolaire, un partenariat avec un artiste, une association, etc.

Le seul point sur lequel nous insistons est la qualité des instruments. Il peut arriver que des élus proposent d'acheter des instruments moins onéreux. Or on n'apprend pas à faire du vélo avec des chaînes rouillées!

La qualité des instruments, l'exigence de qualité sont indissociables du projet, ainsi que la co-construction d'un véritable projet pédagogique entre les professeurs de l'éducation nationale et ceux de l'école de musique. En résumé, Orchestre à l'école, c'est une classe/un orchestre, une pédagogie innovante et un partenariat territorial.

Quels bénéfices les enfants tirent-ils de cette expérience, au delà de l'apprentissage musical ?

J'ai déjà évoqué les bienfaits de l'aventure collective, le fait qu'un enfant va "trouver sa place" au sein d'un groupe, prendre confiance en lui en s'ouvrant aux autres, découvrir le partage, l'entraide, la solidarité. On peut aussi parler d'une ouverture au monde. Par la musique, les enfants découvrent d'autres horizons culturels.

Orchestre à l'Ecole permet aux enfants d'expérimenter jeune ce que c'est d'être un acteur du territoire et un citoyen accompli. Beaucoup d'orchestres participent à des évènements caritatifs et jouent régulièrement pour les restos du cœur, les Virades de l'espoir, le Téléthon, etc.

En 20 ans, nous avons pu mesurer les effets positifs de cette expérience sur les enfants, la façon dont elle développe leur créativité et favorise leur épanouissement à l'école. Nous avons publié en 2021 un livre qui relate toutes les belles histoires que cette expérience a rendues possibles (*). Des parents qui n'osaient pas forcément discuter avec les enseignants sur la scolarité de leur enfant qui se mettent à solliciter des rendez-vous avec la maîtresse, des enfants qui gagnent en concentration et en intérêt pour l'école et dont les résultats scolaires s'améliorent au fur et à mesure qu'ils s'installent dans l'aventure de l'orchestre, etc. Des rencontres marquantes, des deux côtés, entre des artistes comme Gautier Capuçon, violoncelliste ou Ibrahim Maalouf, qui jouent avec les orchestres à l'école, etc.

Ce livre relate aussi une étude suisse conduite par Clara James, docteur en neurosciences et violoniste professionnelle,

pour évaluer les effets sur le développement cognitif et sensorimoteur des enfants d'un dispositif déployé en Suisse assez proche d'Orchestre à l'Ecole. Quels sont ses enseignements?

Réalisée entre 2016 et 2018 dans une école publique du canton de Genève, cette étude a comparé le développement cognitif et sensorimoteur de deux groupes d'enfants de 10 à 12 ans. Le premier suivait les cours collectifs d'instruments à cordes frottées (violon, alto, violoncelle, contrebasse) du dispositif "Orchestre en classe", assez proche de notre dispositif. L'autre, les cours de musique standards en Suisse romande, avec une sensibilisation à la musique, le chant et la pratique de petits instruments à percussion.

Cette étude confirme ce qu'intuitivement, nous percevions en observant les enfants. Le dispositif Orchestre en Classe renforce le développement cognitif et sensorimoteur des enfants, notamment la mémoire de travail, l'attention focalisée, le raisonnement abstrait et la musicalité. Il est possible qu'Orchestre à l'école agisse en faveur de l'égalité des chances. Ce qui est en tout cas humainement palpable, c'est que cette expérience renforce l'épanouissement des enfants et leur confiance en soi. Et pour un enfant qui a confiance en lui-même, les portes sont toutes grandes ouvertes.

* "Orchestre à l'école, cent mille et une histoires", Alternatives, septembre 2021.

L'itinéraire de formation des directeurs et directrices de conservatoire

Elargissement des publics, développement des partenariats et affirmation du rôle clef qu'ils jouent dans l'éducation artistique et culturelle par les collectivités et fortes attentes de celles-ci en matière d'inclusion, de mixité, de cohésion sociale… Les conservatoires sont soumis depuis plusieurs années à de nombreuses mutations pour lesquels leurs directeurs, musiciens, comédiens et danseurs de formation, sont loin d'être suffisamment outillés.

Sans oublier le contexte du Covid qui les a amenés à opérer du jour au lendemain une révolution numérique qui a permis de limiter le "décrochage des élèves"…

Le CNFPT a bâti un itinéraire de formation, pour aider les directeurs et cadres chargés d'un établissement artistique à développer des compétences nouvelles qui s'articulent autour de deux problématiques :

- l'élaboration et le management du projet d'établissement ;

- le pilotage de ses ressources au service de ce projet.

Lien vers la fiche ici.

Un itinéraire spécifique pour accompagner les nouveaux directeurs ou directrices de conservatoire dans leur prise de poste

L'INSET de Nancy a par ailleurs mis en place un dispositif expérimental de formation pour les nouveaux directeurs lors de leur prise de poste. Combinant formation en présentiel et à distance, associé à une communauté de e-formation, ce cursus fait la part belle aux méthodes de pédagogie active, interrogative et participative.

Un itinéraire pour les professeurs ou enseignants artistiques

Renouvelée en 2018 et 2019, cette offre de formation a pour objectif de donner aux professeurs d'enseignement artistiques de nouveaux outils pour aborder leurs missions. Inspirée du dispositif de formation FOREMI (voir plus bas), mis en place en 2011 pour les enseignants des conservatoires, celle-ci fait une part croissante aux modules de formation à distance.

Le dispositif FOREMI

L'INSET de Nancy propose ce dispositif de formation innovant pour les enseignants des conservatoires en chant, flûte, violon/alto. Conçu avec RMLFormations, ce cursus se compose de cours à distance, de travaux personnels et de trois temps de rassemblement des stagiaires. Hormis ces rencontres, tout se passe à distance, le temps d'une année scolaire.

Composé de modules pratiques et concrets, cette formation a connu un grand succès depuis sa création. Elle répond aux besoins des professionnels qui désirent perfectionner leur pratique artistique, renforcer leurs compétences pédagogiques et être accompagnés dans leur évolution professionnelle.

Un itinéraire transversal Culture et Territoire

Cet itinéraire a pour but d'aider les acteurs des politiques culturelles et artistiques (directeurs ou directrices de l'action culturelle, chefs de projet culturel, directeurs ou directrices d'établissement culturel et cadres territoriaux exerçant des responsabilités dans un service des affaires culturelles) à construire et déployer leurs politiques culturelles sur leur territoire.

Il comporte 11 modules articulés autour de trois blocs de compétences : les stratégies et les enjeux des politiques culturelles sur un territoire, les politiques culturelles au croisement des politiques publiques, les outils de gestion d'un équipement culturel.

Ils enseignent la flute ou le violon au conservatoire … Et voilà qu'on les invite à s'emparer d'instruments beaucoup moins familiers, comme un trombone ou une clarinette. C'est l'expérience immersive à laquelle le CNFPT et la Philharmonie de Paris ont convié une quinzaine de professeurs de conservatoire entre août 2021 et juillet 2022 pour les accompagner dans le déploiement du dispositif de  Démos (Dispositif d’Education Musicale et Orchestrale à vocation Sociale) qui vise à favoriser l’accès à la musique classique par la pratique instrumentale en orchestre, porté par l'Orchestre national du capitole de Toulouse.

 

Grâce à ce projet, des enfants de 7 à 12 ans, issus des quartiers prioritaires de la ville de quatre communes (Toulouse, Blagnac, Cugnaux, Muret), ont appris à jouer ensemble d'un instrument durant trois ans, au sein d'un même orchestre.

"L'expérience Démos est très différente de celle que les professeurs ont l'habitude d'avoir au conservatoire. Ils sont habitués par exemple à donner de cours individuels, alors qu'avec Démos ils basculent dans une pratique collective. C'est la raison pour laquelle les villes impliquées dans le projet nous ont contacté pour bâtir une formation, co-construite avec la Philharmonie de Paris", explique Valérie Trulla-Monserat, conseillère formation à l'antenne de Haute-Garonne de la délégation Occitanie du CNFPT.

D'où l'idée de mettre les professeurs dans la même situation que les enfants au démarrage de Démos, celle d'un élève qui découvre un instrument qu'il n'a jamais pratiqué. "Cette expérience dépaysante les a marqués et a bousculé leurs pratiques professionnelles", témoigne la conseillère formation.

La formation reposait sur cinq modules différents :

  • module 1: le lancement du dispositif avec l'expérience immersive de découverte d'un nouvel instrument ;
  • module 2 : l'observation sur le terrain des pratiques musicales collectives ;
  • module 3 : le partage et l'analyse des observations au sein d'ateliers ;
  • module 4: les échanges de pratiques inter établissements ;
  • module 5 : le séminaire après l'expérience Démos.