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L'outre-mer, un laboratoire de la résilience climatique ?

05/10/2023

" La France n'est pas prête face à la crise climatique ", selon le dernier rapport du Haut conseil pour le climat, publié en juin 2023. L'urgence est pourtant là. Avec l'hypothèse probable d'un réchauffement climatique entre 2 et 4 C°, elle doit se préparer à la multiplication des évènements climatiques extrêmes. Elle a tout intérêt pour cela à s'inspirer de l'exemple des territoires d’outre-mer, qui ont développé une grande résilience face à ces aléas et qui sont aujourd'hui les premiers touchés par les conséquences du dérèglement climatique.

Une vulnérabilité ancienne, source de résilience

Autant de sujets sur lesquels les territoires ultra marins ont une certaine longueur d'avance, comme le souligne Ali Karimi, ingénieur en chef en charge du développement durable et de la coopération décentralisée à la Communauté d'agglomération du territoire de la Côte Ouest (TCO), à la Réunion. "Ces territoires savent qu'ils sont vulnérables, depuis longtemps. C'est quelque chose qu'ils ont intégré de longue date et qui favorise la résilience ».

La Communauté d’agglomération du TCO a ainsi mené d’importantes actions d’aménagement hydraulique pour prévenir les inondations et participé à des dispositifs ORSEC locaux éprouvés visant à gérer les évènements cycloniques (des phénomènes qui se produisent plusieurs fois par an).

« Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’un plan intercommunal de sauvegarde PICS pour recenser l’ensemble des risques naturels possibles sur le territoire et préciser les modes d’organisation et d’intervention en cas de crises, qui seront naturellement amplifiées du fait du réchauffement climatique », explique Ali Karimi.

Et de poursuivre… « Notre collectivité travaille aussi sur un grand projet d’Ecocité tropicale et insulaire, basé sur des principes d’urbanisme durable adaptés au contexte local. Ce projet d’aménagement de Cambaie est pionnier en matière de conception bioclimatique, d’utilisation de matériaux locaux, d’agriculture urbaine, d’économie circulaire, de gestion de l’énergie avec de nombreuses expérimentations et innovations répondant aux enjeux de lutte contre le réchauffement climatique ».

Aujourd'hui les territoires ultramarins sont en première ligne du dérèglement climatique et se préparent, avec quelques années d'avance par rapport à la métropole, à ses conséquences.  Insulaires, ils sont en première ligne par rapport à l'élévation du niveau de la mer, évalué à près de 4 millimètres par an. La Martinique pourrait ainsi perdre 5 % de sa superficie d'ici 2100, et des pans entiers de la Guadeloupe, de Saint Martin, de Mayotte et de la Réunion pourraient devenir inhabitables. Un problème d'autant plus grave que la population et les activités se concentrent sur le littoral soumis à l'érosion côtière.

Renouer avec des pratiques oubliées

Ces territoires sont également menacés par la multiplication des évènements météorologiques extrêmes, qui gagnent en intensité avec le réchauffement. En 2017, l'ouragan Irma a frappé Saint Martin avec une force inédite, faisant 136 morts et endommageant 92 % des bâtiments. Une chose est sûre : les ouragans de forte intensité vont se multiplier, ainsi que les épisodes pluvieux intenses et les périodes de sécheresse prolongée.

Autant de défis à relever qui s'accompagnent également, comme en métropole, d'une nécessaire transformation des modes de consommation et de production pour décarboner les territoires. "Il nous faut réduire notre dépendance vis à vis de l'extérieur et réapprendre à produire et consommer localement ", déclare Ali Karimi.  Une politique qui passe parfois par un retour à des pratiques oubliées… "Nous devons renouer avec la sobriété, réapprendre par exemple le système de consignes, l'utilisation de produits locaux dans les bâtiments, les techniques de construction bioclimatiques ancestrales, le recyclage, la réparation des équipements".

Tempêtes, inondations, cyclones, tremblements de terre, sécheresse, canicules… Les territoires d'outre-mer ont été exposés à ces aléas bien avant que l'on commence à parler de dérèglement climatique. Ils ont développé une expertise particulièrement précieuse dans trois domaines : le risque cyclonique (pour les Antilles, la Polynésie Française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle Calédonie), le risque sismique (Antilles, Mayotte) et le réchauffement climatique. "Les solutions développées dans les outremers devraient servir de source d'inspiration, d'échanges et de références pour résoudre les problématiques liés à ces différents défis", exhorte le rapport sénatorial "Reconstruire la politique du logement outre-mer", publié en juillet 2021.

Cette expertise est parfois ancestrale. L'habitat vernaculaire, amérindien, océanien, tropical, bioclimatique avant l'heure, offrait des espaces de ventilation naturels. Un savoir-faire utile à l'heure où tout doit être tenté pour éviter le recours à la climatisation. Ces techniques ont été oubliées pour faire place à une uniformisation des modes constructifs calqués sur l'architecture européenne, recourant à l'importation massive de ciment, tôles en acier, isolants, aluminium, PVC, etc. Une hérésie écologique…

Refaire une place aux matériaux locaux

Aujourd'hui, techniques vernaculaires et matériaux locaux biosourcés connaissent un regain d'intérêt. "Il existe des potentialités importantes, liées aux richesses naturelles des outre-mer : pin des caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante, angélique, gaïac, wacapou, wapa", liste le rapport sénatorial. Des matériaux au meilleur bilan carbone que le béton, mais aussi plus adaptés aux conditions climatiques locales que le béton, notamment à l'humidité, à la salinité de l'air, etc.

Tout l'enjeu, pour les collectivités est de parvenir à structurer des filières locales autour de ces matériaux locaux. "En Guyane, nous pouvons recourir à trois types de bois locaux : l'ébène verte, l'angélique et le gonfolo, ainsi qu’à de la brique de terre crue dont la production est en forte croissance. Pour développer l'utilisation de ces matériaux, nous avons prévu dans notre dernier Plan local d'Habitat une majoration des aides lorsque ces produits locaux sont utilisés. L'idée est d'inciter tous les acteurs, artisans, entreprises de BTP, bailleurs, à se tourner vers eux", explique Isabelle Patient, directrice de l'habitat à la Communauté d'agglomération du centre littoral, qui inclut notamment la ville de Cayenne.

Innover avec un habitat léger et modulaire

Laboratoire de l'adaptation au changement climatique, l'outre-mer est en pointe également dans un autre domaine : la construction d'habitats légers, modulaires et peu coûteux, en réponse aux très grandes difficultés que les populations rencontrent parfois pour se loger.

Selon une étude de la Fondation Abbé Pierre, publiée en février 2023, près d'un tiers des 2,2 millions habitants des départements et régions d'outre-mer sont mal logés.  "L'urgence est de construire, vite et à des coûts soutenables, le maximum de logements. Et l'équation est très compliquée, car non seulement nous manquons de foncier aménagé, mais aussi parce que les coûts de construction sont très élevés en raison de la complexité de l'approvisionnement", explique Isabelle Patient. Conscient de ces difficultés, le Plan urbanisme construction et architecture (PUCA) a lancé avec le ministère des Outre-mer et celui de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires l'appel à propositions "un toit pour tous en outre-mer" (TOTEM). Son principe ? Mettre au point des solutions d'habitat, préfabriquées ou non, qui puissent être rapidement déployées par une main-d'œuvre peu qualifiée, ou même en auto-construction et qui de surcroît privilégient les ressources localement disponibles et favorisent les filières écologiquement vertueuses.

Cette solution permettrait de réduire le problème de l'habitat spontané et illicite. "Sur notre agglomération, 40 % des habitations sont construites illégalement. L'auto construction "encadrée" telle que le conçoit l'appel à projet Totem[1], est une solution pragmatique et pertinente pour notre territoire", note Isabelle Patient.

 

[1] TOTEM vise à expérimenter de nouveaux modes de conception et de construction d'habitat digne et à un coût supportable, pour les plus démunis.

Sur une île, la question de l'autonomie alimentaire, devenue centrale avec le dérèglement climatique et la raréfaction des matières premières, revêt une acuité particulière. "L'idée que nous avons en tête, c'est de pouvoir nous débrouiller même si le bateau n'arrive pas ! ", résume Ericka Rosnel, directrice de la transition écologique et du développement durable de la ville de Baie-Mahault. D'où le souhait de développer les produits agricoles locaux et bio pour renforcer l'autonomie alimentaire.  

S'il est utopique d'imaginer nourrir les 400 000 guadeloupéens via les ressources locales, opérer un certain rééquilibrage et rendre l'île progressivement moins dépendante de l'extérieur relève du champ du possible. "C'est un enjeu qui implique toutes les politiques publiques : la santé, l'éducation, la culture, le développement économique et aussi la lutte contre la pauvreté. Se nourrir en Guadeloupe revient beaucoup plus cher que dans l’Hexagone, puisque l'on importe presque tout. Cela pèse lourdement sur le pouvoir d'achat des ménages", poursuit Ericka Rosnel.

Un rééquilibrage vers l'agriculture locale et durable

Labellisé plan alimentaire territorial par le gouvernement en 2021, le projet Bio'Maho initié par la commune de Baie Mahault vise justement à amorcer ce rééquilibrage en faveur de l'agriculture locale et durable. Premier levier actionné, la transformation des cantines en restauration scolaire durable. "Les cantines sont la porte d'entrée de notre projet… Elles permettent à la fois d'éduquer les enfants et de structurer les filières locales en offrant des débouchés à l'agriculture durable", affirme Ericka Rosnel.

Alors que la loi Egalim impose depuis le 1er janvier 2022 aux cantines un quota de 50 % de produits de qualité et durables dont au moins 20 % de produits biologiques, la Guadeloupe bénéficie au même titre que les autres territoires d'outre-mer d'une dérogation, compte tenu des contraintes locales. En 2022, 20 % des produits servis dans les cantines doivent être de qualité et durables et 5 % des produits biologiques. Entre 2026 et 2029, ces pourcentages devront se hisser progressivement à 35% et 20%. 

La ville de Baie Mahault s'est rapprochée de coopératives locales d'agriculteurs biologiques pour accroître la part de ces produits. "Le contexte est favorable, il y a aujourd'hui tout un ensemble d'acteurs qui poussent au développement de nouvelles pratiques agricoles, comme le mouvement Agreen Start up, qui donne des coups de pouce aux porteurs de projet et futurs agriculteurs. Au fur et à mesure, la filière se constitue", estime Ericka Rosnel. En 2019, la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF), la direction de l'aménagement et du logement (DEAL) se sont rapprochées du conseil départemental et de l'Ademe pour diagnostiquer le système alimentaire guadeloupéen. DiaG'Alim (diagnostic du système alimentaire en Guadeloupe) concluait sur la nécessité de relancer la production et la consommation de produits agricoles durables et locaux. 

Renouer avec les jardins créoles

La Guadeloupe a des atouts, notamment des terres d'une grande richesse agronomique, et une tradition agricole. Elle a longtemps été un modèle d'autonomie alimentaire, avec les jardins créoles, que l'on retrouve dans toutes les Antilles, mais aussi, en Guyane et à la Réunion. Un agroécosystème particulier où l'on retrouvait sur des surfaces réduites (en général le petit bout de terrain à côté de la maison familiale), une grande variété de légumes, fruits, plantes aromatiques et médicinales associée à l'élevage de porc, de bœuf et de cabri. 

Parallèlement au travail sur la restauration scolaire, le projet alimentaire bio Maho comporte un volet santé et un autre consacré à la lutte contre la précarité. Pendant la pandémie, des paniers de produits locaux ont été distribués aux plus fragiles. La création de marchés de producteurs et des dispositifs de soutien aux agriculteurs sont également prévus pour faciliter le développement des filières locales. Enfin, dernier volet qui reste à développer, le travail sur la recherche et le développement en association avec des acteurs scientifiques.

Baleines à bosse, gecko vert de Manapany, Pétrel noir de bourbon, tortue verte, Phasme du palmiste rouge, Tuit-tuit (passereau rare), …. L’Île de la Réunion abrite un grand nombre d’espèces endémiques (des espèces animales ou végétales présentes exclusivement dans cette région), dont 35% sont menacées. On retrouve notamment 30 espèces d’oiseaux, cinq de chauve-souris, cinq de tortues, 23 de cétacés et plus de 2000 espèces d’insectes. Même diversité côté flore, avec près de 1000 espèces de plantes et 130 milieux naturels différents, qui vont de la luxuriante forêt tropicale aux plateaux volcaniques aux allures lunaires. Soit une oasis de biodiversité à préserver…

La Région a pris la mesure de cet enjeu depuis plusieurs années et développé différentes actions pour défendre ce patrimoine unique. 2007 est une date clé avec la création du parc national de la Réunion, qui couvre 42% de l’Île et dont la vocation est de protéger son endémisme. Six ans plus tard, en 2013, le cœur de ce parc a été inscrit au patrimoine mondial sous le nom de « pitons, cirques et remparts de l’Île de la Réunion ».

Et, en mai 2023, un nouveau pas est franchi avec la création par la région Réunion et l’Office français de la biodiversité de la neuvième agence régionale de la biodiversité. Son rôle ? Résoudre les menaces qui pèsent sur la biodiversité réunionnaise, sur terre, comme sur mer. Elle mise sur la mobilisation des citoyens et le partage des connaissances autour de la biodiversité.

Ses missions incluent notamment :

  • Une mission d’ingénierie de projet, afin d’aider les associations, les collectivités et les établissements publics à monter leur projet.
  • La diffusion auprès du plus grand nombre des informations et données sur la biodiversité ; et leur interprétation pour que ces problématiques soient mieux prises en compte dans les décisions locales.
  • Une mission de coopération régionale : car la protection de la nature, particulièrement en outre-mer, doit être abordée en concertation avec les voisins, pour agir au niveau d’une zone géographique pertinente, au-delà des frontières étatiques.
  • La mise en réseau des partenaires et la coordination des actions
  • La formation des élus et des professionnels
  • La communication et la mobilisation des citoyens

Son budget s’élève aujourd’hui à 660 000 euros, mais elle a vocation à s’appuyer sur les fonds européens. Elle prévoit de lancer des appels à projets pour renforcer les dynamiques déjà en cours en faveur de la défense de la biodiversité réunionnaise.

"Sous la contrainte, l'outre-mer a su développer des solutions inspirantes pour l'Hexagone"

La question de la transition écologique se pose-t-elle différemment en outre-mer ?

Je serais tenté de dire oui, pour deux raisons essentielles. La première est liée aux contraintes auxquelles sont soumis ces territoires insulaires et isolés, ce qui complique la donne pour accéder à l'énergie, s'approvisionner, éliminer les déchets, etc. Tout est plus compliqué sur ces territoires, qui ont dû s'adapter avant l'heure à la rareté des ressources et apprendre la sobriété.

La seconde découle de la très forte exposition de ces territoires aux aléas climatiques. Ces populations ont l'habitude des évènements extrêmes, inondations, tempêtes tropicales, ouragan, cyclones, sécheresse, difficultés d'accès à l'eau, etc.  Avec le dérèglement climatique, elles vont subir une aggravation de ces phénomènes et vont devoir s'adapter. Elles sont particulièrement vulnérables face aux conséquences du réchauffement : cyclones de forte catégorie, élévation du niveau de la mer, submersions chroniques, inondations et érosions.

La population est-elle consciente de l'aggravation de ces phénomènes ?

On aurait pu se dire "Ces populations sont habituées aux phénomènes climatiques extrêmes, donc leur inquiétude est moindre", or ce n'est pas le cas. On sent une inquiétude croissante, notamment en Guadeloupe, le territoire que je connais le mieux.

Un an après le passage des cyclones Irma et Maria en 2017, une association locale a invité le climatologue Jean Jouzel. La salle était comble et l'on sentait la population très concernée par ces sujets. La grande question des participants était : "Est-ce que ces phénomènes vont se produire avec beaucoup plus de fréquence et de violence à l'avenir ?".

Le lien entre ces évènements et le dérèglement climatique est désormais clair dans les esprits. La tempête tropicale Fiona a fait beaucoup de dégâts en Guadeloupe, avec énormément d'eau. Ce scénario est cohérent avec ce que les modèles climatiques annoncent, c'est à dire des phénomènes caractérisés par une forte pluviométrie. Les habitants prennent également conscience que ces événements montent en puissance beaucoup vite que dans le passé. En quelques heures, ils passent d'une "simple" tempête tropicale à la catégorie 4 ou 5.

Vous avez évoqué des contraintes accrues liées à l'insularité et l'isolement qui compliquent l'accès à l'énergie. Ce contexte a-t-il joué un rôle positif, en poussant ces territoires à développer les énergies renouvelables ?

Prenons encore l'exemple de la Guadeloupe. Il s'agit d'une zone non interconnectée (ZNI), qui n’est pas reliée à un réseau d'électricité continental… La Guadeloupe est une île et même un archipel d'îles, ce qui complique la donne.  Sous la contrainte, elle a dû faire preuve d'innovation. En 1993, à la Désirade a été raccordée au réseau électrique pour la première fois en France une centrale éolienne de type anti-cyclonique : à l'approche des ouragans, les éoliennes se rabattent. C'est aussi en Guadeloupe qu'est née, dès les années 80, une centrale géothermique à Bouillante. Son principe : la vapeur et l'eau chaude du sous-sol sont exploitées pour produire de l'électricité. La Guadeloupe est un territoire intéressant pour cette énergie car elle est située en zone volcanique. Or pour faire de la géothermie, la température minimale des nappes doit être de 150 °C.

Cette solution se développe-t-elle ailleurs qu'à Bouillante en Guadeloupe ?

Le site de Bouillante produit 6 % de l'électricité en Guadeloupe. Il existe un projet d'extension de la centrale, ainsi que deux autres projets dans le Sud de l'Île. Le potentiel est là, mais il faut bien voir que ces projets sont longs et demandent des investissements importants, pour un résultat aléatoire. Il y a des similitudes avec l'industrie pétrolière : il faut passer par des études préalables, on doit forer à des endroits où l'on imagine que l'on a des chances de trouver une ressource exploitable, mais on n'est jamais sûr d'en trouver. L'autonomie énergétique de la Guadeloupe passe donc également par toute une palette d'énergies renouvelables : la biomasse, l'hydroélectricité, l'éolien, le photovoltaïque, et dans une moindre mesure, les combustibles solides de récupération (CSR) issus des déchets.

De quoi s'agit-il ?

On produit de l'électricité en valorisant les déchets. Une partie des déchets des entreprises et ménagers est transformée en combustible homogène, qui, enfourné dans un four, produit de la vapeur puis de l'électricité. Une solution idéale, puisqu'elle permet de résoudre deux problèmes des territoires ultramarins : la gestion des déchets et la production d'énergie renouvelable.  

La collecte et le tri des déchets coûtent plus cher en outre-mer et nous sommes encore loin des standards hexagonaux. En Martinique ou à Saint Barth, il existe des unités de valorisation énergétique (des incinérateurs). En Guadeloupe, ce maillon manque.  Mais des projets émergent actuellement, notamment pour fournir en combustibles la centrale électrique d'Albioma au Moule, un site qui fonctionne aujourd'hui à la bagasse (résidu de la canne), au charbon et à la biomasse importée en provenance d'Amérique du nord.

Les territoires ultramarins s'intéressent-ils également à des solutions comme la consigne ?

La consigne des bouteilles en verre était autrefois monnaie courante. Elle est depuis tombée en désuétude, mais certains acteurs locaux tentent de la relancer. La Guadeloupe est un territoire pilote pour la remise en place de cette pratique, encouragée par la loi AGEC antigaspillage pour une économie circulaire de 2020.

En 2021, l'entreprise Verre en Vert, fondée par Laura Albasini et soutenue par l'Ademe a déployé un dispositif, non pas de consigne mais de réemploi des bouteilles et des bocaux en verre sur les Antilles. Ceux-ci sont collectés sur des réseaux de points de collecte (bars de plage, distilleries de rhum, magasins bio et supérettes). Ils sont reconditionnés et revendus ensuite à des producteurs locaux de rhum, punch, miel, etc. L'avantage est que la bouteille d'un litre en Guadeloupe est la même chez tous les rhumiers. C'est une nouvelle illustration du fait qu'un contexte plus contraint peut donner le jour à des initiatives inspirantes…

En 2010, Arlette Pujar devient directrice régionale du CNFPT en Martinique. "A l'époque, il n'y avait pas de formation sur la culture du risque". 2010, c'est aussi l'année du séisme à Haïti. Elle se rend sur place et prend conscience de l'importance de préparer la population à ces catastrophes majeures. "Tous les survivants me disaient : faites tout ce que vous pouvez pour former les gens. Nous étions face à des personnes ensevelies, mais nous ne savions pas quoi faire pour les sauver".

A son retour, Arlette Pujar réunit l'ensemble des acteurs impliqués dans la gestion de ces catastrophes et construit en collaboration avec les délégations Guadeloupe et Guyane un itinéraire de formation en management des risques majeurs pour les collectivités locales. L'itinéraire est repris au niveau national par le CNFPT, qui ajoute un risque supplémentaire, inconnu aux Antilles: les avalanches.

"Avec le réchauffement climatique, l’Hexagone est de plus en plus exposé aux risques liés aux aléas climatiques. L'expertise de l'outre-mer est précieuse, car nous sommes particulièrement exposés ", note Arlette Pujar.

Deshaies, première commune européenne "Tsunami ready"

"En Guadeloupe, nous cumulons plusieurs risques : le risque cyclonique, le risque de submersion, le risque volcanique, avec l'un des volcans le plus dangereux du monde, la Soufrière, le risque sismique, les glissements de terrain, le risque de Tsunami", résume de son côté Cécile Bicaïs, directrice régionale du CNFPT en Guadeloupe. Des risques de plus en plus pris en compte par les collectivités locales qui s'organisent. A la fin juin 2023, la commune de Deshaies, sur le littoral nord, était la première commune française et même européenne à recevoir le label "Tsunami Ready" de l'Unesco. Une distinction qui vient saluer l'ensemble des mesures prises par la ville pour préparer la population à un tel évènement : système d'alerte, diffusion de la culture du risque auprès de la population et des touristes pour qu'ils puissent se mettre à l'abri en cas de raz de marée.

De son côté, si la Guyane n'est pas affectée par le risque cyclonique, elle est en revanche, très exposée à l'érosion du littoral qui s'accélère. « De nombreuses collectivités sont touchées et les maires sont contraints de déplacer des populations qui ont toujours vécu au bord de la mer. Par ailleurs, nous sommes les seuls, avec la base de Kourou, à être exposés au risque d'explosion d'une fusée", note Aurore Francius Smith. Et d'ajouter "l'intérêt des stages menés conjointement entre les trois délégations, c'est que chacun peut partager la connaissance des risques spécifiques à son territoire".

Diffuser une culture du risque

Face à la multiplication des aléas, préparer les populations et diffuser une culture de ce type de risques est essentiel. "Former les agents est important, car ils sont en première loge, et qu'ils peuvent sensibiliser ceux qui n'ont pas été formés. C'est ainsi que l'on peut développer une culture de ce type de risques auprès de la population et renforcer sa résilience", explique Arlette Pujar.

Des pratiques encore récentes en France, que d'autres pays pratiquent depuis longtemps, avec succès. "Au Japon, les enfants apprennent très tôt comment se comporter lors d'un séisme et personne ne panique", raconte Arlette Pujar.  Pour mieux faire passer le message, les délégations du CNFPT en outre-mer innovent également dans la forme, en recourant au théâtre forum et à des mises en situation réelle avec simulations d'épisode sismique, par exemple.

Outre ces formations aux risques, les délégations d’outremer proposent des formations à la construction insulaire (constructions parasismiques par exemple), sur la biodiversité et la résilience des agents territoriaux.