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Et si l'on "montait le son" dans l'échelle de nos préoccupations ?

16/06/2022

"On entend les oiseaux!". Combien d'entre nous se sont surpris à prononcer la phrase la plus universellement partagée pendant le confinement ? Pour beaucoup, la crise sanitaire a été l'occasion d'une prise de conscience de la pollution sonore et de la perte de qualité de vie qu'elle génère. "La pandémie nous a permis en grandeur réelle d'expérimenter ce qu'était une ville apaisée. Cette expérience sensorielle a laissé des traces et renforcé l'aspiration sociétale à davantage de calme", explique Bruno Vincent, conseiller scientifique et stratégique d'Acoucité, le premier observatoire de l'environnement sonore, créé en 1996 par la métropole de Lyon.
L'enjeu est d'autant plus important que le bruit est une question de santé et qu'il a un coût. L'Ademe et le Conseil national du bruit ont évalué la facture à 147 milliards d'euros par an pour la France (étude publiée en juillet 2021). Un chiffre qui inclut les effets sanitaires et non sanitaires de trois sources de bruits différentes (le transport, le voisinage et le milieu du travail).
Parmi les effets sanitaires, on retrouve la gêne, les perturbations du sommeil, les maladies cardiovasculaires, l'obésité, le diabète, les troubles de la santé mentale, mais aussi les difficultés d'apprentissage, l'hospitalisation, les maladies et accidents professionnels. Et parmi les effets non sanitaires, les pertes de productivité et la dépréciation immobilière. Un appartement situé en face d'un boulevard périphérique ou d'une voie ferrée subit une décote importante.

La deuxième cause de dommages sanitaires après l'air

"Aujourd'hui, l'impact sanitaire du bruit et son coût social sont parfaitement documentés. Beaucoup d'études ont enfin permis ces dernières années d'en mesurer les conséquences. Selon l'OMS, le bruit est après l'air la deuxième cause environnementale de dommages sanitaires", estime Louise Mazouz, chargée d'étude acoustique au Cerema Hauts-de-France.

Un constat qui renforce l'attention des collectivités aux problématiques sonores, même si le terrain est loin d'être vierge. Les collectivités territoriales se sont emparées de ces sujets depuis la loi Royal (1992) relative à la lutte contre le bruit et la directive européenne de 2002, qui impose aux agglomérations de plus de 100 000 habitants et à celles disposent de grandes infrastructures routières de réaliser une carte de bruit stratégique et un plan de prévention du bruit environnemental (PPBE) tous les cinq ans. La directive propose aussi d'identifier des "zones calmes" où les riverains peuvent venir reposer leurs oreilles.

Le Cerema de son côté intervient auprès des services déconcentrés de l'Etat et auprès de certaines collectivités, pour les accompagner sur tous ces sujets. Un accompagnement qui sera facilité prochainement par la loi 3DS.

Ces nouveaux outils ont permis à certaines collectivités, comme la métropole Nice côte d'Azur, d'améliorer le paysage sonore. "Notre premier PPBE remonte à 2010. En dix ans, nous sommes parvenus à diminuer l'ambiance sonore générale de 3 à 4 décibels en moyenne sur un grand nombre d'axes de circulation, et c'est beaucoup! Il y a dix ans, 11 % de la population de l'agglomération était exposée à plus de 68 décibels en moyenne sur 24 heures, le niveau recommandé par l'Europe. Aujourd'hui, le pourcentage est tombé à 5 %, avec l'objectif de passer à 3% avec le prochain PPBE", rapporte Arnaud Cristini, chef du service Air bruit monitoring urbain environnemental.

Un progrès qui découle de tout un ensemble d'actions : mise en place d'un observatoire du bruit (un réseau d'une cinquantaine de capteurs), création de plusieurs lignes de tramway, traitement de la voirie et refonte du plan de circulation, généralisation des zones 30, expérimentation de différentes solutions de murs acoustiques, etc".

Des radars pédagogiques sur la route et dans les cantines

La métropole de Nice mise sur l'innovation et les ressources des smart cities pour embellir le paysage sonore. Depuis fin 2021, l'Etat expérimente à Nice des radars automatiques de bruit qui ne seront homologués qu'en 2023. Sans attendre, la métropole azuréenne a mis en place, dès 2019, plusieurs prototypes de "radars sonores pédagogiques", qui clignotent lorsqu'un véhicule dépasse un certain volume de décibels. "La pédagogie est un levier important à actionner pour améliorer l'ambiance sonore", note Arnaud Cristini. Depuis quatre ans, les élèves de cinq écoles ont appris à "baisser le son" dans les cantines grâce à l'affichage en temps réel du nombre de décibels sur un module connecté. Ce dernier permet un suivi des efforts et est associé à une action de formation-sensibilisation auprès des enfants, enseignants et personnel de cantine.

Le propriétaire d'un pub, dans le port de Nice, a également accepté de jouer le jeu. Une balise de bruit est placée sur la terrasse et il est prévenu des pics de bruit grâce à un vibreur à sa ceinture.

A Roanne, des cartes postales sonores

Claude Garcia, directeur du pôle sécurité santé publique de Roanne, joue de son côté la carte du participatif et prépare avec le conseil municipal des enfants la réalisation de "cartes postales d'ambiance sonores", qui pourront être compilées dans le futur au sein d'une carte des bruits, des odeurs et du pollen de la ville.

"C'est une nouvelle approche de la question sonore, complémentaire de la mesure des décibels par les capteurs et de la modélisation, utilisée pour les cartes stratégiques du bruit. Avec ces "cartes postales", on peut sensibiliser les habitants à la question d'ambiance sonore et l'on rend mieux compte de l'expérience sensible des habitants. Car le niveau de décibels ne dit pas tout", avance-t-il.

L'idée étant de glisser d'une vision négative du bruit (les nuisances sonores) à une vision plus positive de construction d'ambiances sonores plus agréables, contribuant à une meilleure qualité de vie dans la ville.

"C'est une nouvelle approche de la question sonore, complémentaire de la mesure des décibels par les capteurs et de la modélisation, utilisée pour les cartes stratégiques du bruit. Avec ces "cartes postales", on peut sensibiliser les habitants à la question d'ambiance sonore et l'on rend mieux compte de l'expérience sensible des habitants. Car le niveau de décibels ne dit pas tout", avance-t-il.

Parce que le son joue un rôle aussi important que la vue dans le bien être des usagers, la municipalité fait appel à un spécialiste en amont de son projet d'urbanisme.
Courbevoie et ses élus sont particulièrement sensibles à la question sonore et à l'apaisement de la ville. "En zone dense, cela correspond à une attente très forte des habitants… Le bruit est un sujet important qui contribue fortement au stress", déclare Olivier Texier, directeur du service voirie de la ville.
En 2018, la municipalité décide de mettre plus de trente kilomètres à 30 km/h. Aujourd'hui, elle entend aller plus loin dans la prise en compte de la dimension sonore et fait appel à un acousticien en amont du projet d'aménagement de la place de la gare.

"Nous sommes tout au début, au stade des études préliminaires. Nous avons cartographié le bruit sur la place et l'architecte paysagiste et l'acousticien travaillent de concert pour concevoir le projet", explique Olivier Texier.

Les leviers pour améliorer l'ambiance sonore sont nombreux, car tout contribue à fabriquer une ambiance sonore : les revêtements, la configuration des bâtiments et l'orientation des façades (qui peuvent constituer un "boomerang" pour le son ou l'absorber), le mobilier urbain, les végétaux.

Un nouveau champ d'intervention pour les acousticiens

"Dans le cas d'une gare, par exemple, il faut prévoir un revêtement au sol lisse, sans pavés, qui minimise le bruit des valises à roulettes et "emprisonne le son", comme par exemple un enrobé acoustique. Le bruit doit être neutralisé au plus près de la chaussée, par différentes astuces, comme par exemple des variations de niveau de la chaussée pour limiter la propagation des décibels. On peut jouer aussi sur le relief du végétal, avec des plantes plus basses et plus hautes à certains endroits", détaille Olivier Texier. Un bruit d'eau, une fontaine, peut aussi être intéressant pour "couvrir" les bruits de la circulation.

Un champ d'expérimentation nouveau, pour les acousticiens, comme pour les collectivités. "Jusqu'ici, les acousticiens sont consultés uniquement sur les projets de bâtiments, pour optimiser par exemple les performances sonores d'équipements culturels, musicaux, ou améliorer l'ambiance des cantines, des crèches, etc. Mais on ne pense jamais à eux pour l'aménagement d'une place publique", note Olivier Texier.

Une situation qui pourrait évoluer avec la sensibilité croissante des usagers au bruit et aux facteurs de stress. "Il y a une quinzaine d'années, les spécialistes de l'éclairage public se sont imposés dans les grands projets d'urbanisme. Je suis persuadé que dans quelques années, ce sera le tour des acousticiens, et qui sait, plus tard, des spécialistes des aspects olfactifs ? ", avance Olivier Texier.

Et de conclure "Nous allons vers une prise en compte de tous les sens dans l'aménagement urbain, au-delà de l'aspect visuel : tout ce qui joue un rôle dans l'expérience sensible des usagers".

Chargée de concevoir un écran acoustique, l'agence d'architecture et d'urbanisme Lebunetel + associés a choisi d'en faire un "mur habité", abritant huit ateliers d'artisans et un espace de promenade en surplomb du quartier.
Il est très rare qu'une collectivité territoriale fasse appel à un architecte pour réaliser un écran acoustique. "En général,  il prend plutôt la forme d’un ouvrage d‘infrastructure technique peu esthétique : le plus souvent, c'est une structure opaque en béton de bois, chargée d'absorber les sons", explique Nicolas Lebunetel, architecte directeur de l'agence.

Une exception à la règle cependant : Rennes, et son "mur habité". En plus de sa fonction d'écran vis-à-vis des bruits de la voie ferrée, le mur abrite depuis 2020 huit ateliers  d'artistes créateurs : une abat-jouriste, une artisane plumassière, un bijoutier inspiré par les techniques de fonte de l'âge de bronze, etc. Les modules en bois qui forment ces ateliers font à la fois office de lieu de travail et de vitrine pour les artisans.

A l’origine du projet, un problème essentiellement acoustique. Un groupe d’immeubles industriels est promis à la destruction, dans le cadre du renouvellement du quartier Bernard Duval. Or ces bâtiments, situés en face de la voie ferrée  Rennes-Brest, protègent le quartier du bruit ferroviaire. Leur disparition va exposer les habitants à des nuisances inenvisageables.
La ville de Rennes lance en 2002 un appel à projets auprès des urbanistes et architectes. Nicolas Lebunetel s'empare du dossier avec ses "réflexes" habituels. "C'est dans l'ADN de notre agence : à partir du moment où nous construisons un édifice, il doit servir à quelque chose. En ville, on manque de place, il faut donc chercher en permanence la polyvalence d'usages.".

Quel projet ferait sens dans cet ancien quartier industriel en voie de mutation, dynamisé depuis plus de 10 ans par Les Ateliers du vent, un collectif qui a transformé l’ancienne usine Amora en un lieu artistique et culturel, ouvert sur la vie du quartier et ses habitants ?
"Le futur ouvrage allait faire face aux Ateliers du vent, il était logique de creuser le même sillon du renouveau artistique et culturel" analyse Nicolas Lebunetel.

Architecturalement, aussi, le projet est novateur. Oubliez les murs acoustiques opaques et gris. Le mur, courbe, forme une scène de théâtre à l'italienne, de 120 mètres de long ouverte sur l’espace public. Alliant bois, panneaux colorés, végétation et verre transparent, il laisse apparaître les trains. Un choix mûrement pensé. "Un bruit dont on n'identifie pas l'origine est psychologiquement beaucoup plus gênant. Au lieu de cacher la source du bruit, nous avons donc décidé de la révéler. Les trains qui passent créent un effet visuel, à la manière d'un travelling cinématographique", avance Nicolas Lebunetel.

Doté à son sommet d'une passerelle de déambulation offrant une vue surplombante sur le quartier, le mur habité joue également le rôle de lieu de promenade pour les habitants et les visiteurs, et constitue une ouverture vers les berges de la Vilaine, à quelques centaines de mètres.

Deux ans après l'ouverture des ateliers, le lieu est d'ores et déjà un succès, contribuant au dynamisme de cet ancien quartier industriel devenu un pôle d'attraction de la ville. Le projet a remporté en 2021 le prix du défi urbain, catégorie espaces publics, dans le cadre du Forum des Projets Urbains et en 2020 le Décibel d’Argent.

"Un bruit dont on n'identifie pas l'origine est psychologiquement beaucoup plus gênant. Au lieu de cacher la source du bruit, nous avons donc décidé de la révéler. Les trains qui passent créent un effet visuel, à la manière d'un travelling cinématographique".

Vous êtes l'auteur de "L'espace sonore de la ville au XIXème siècle", paru en 2003. Pourquoi ce livre ?

Je voulais comprendre comment les architectes, à une époque où les sonomètres n'existaient pas, traitaient la question de l'ambiance sonore. Je me suis donc plongé dans les archives de Lyon, les traités d'architecture et les romans du XIXème, pour me faire une idée des sons de l'époque, la façon dont ils étaient perçus par les habitants, et de la manière dont les architectes prenaient en compte ces questions.

Zola est intéressant du point de vue des ambiances sonores extérieures. Dans Germinal, par exemple, il raconte comment ses personnages sont attirés par les nouveaux "sons" industriels, ou par la foule des grands magasins.

Balzac est précis sur les stratégies mises en place dans la sphère privée pour maîtriser le volume sonore en fonction des différents moments de la journée : heures des repas, arrivée d'un invité ou d'un client pour une profession libérale, etc. La voix des domestiques est considérée par les bourgeois comme une gêne : les domestiques parlent trop fort à leur goût, ils leur apprennent donc à moduler leur voix, à parler tout bas. Des sonnettes sont mises en place pour que les maîtres de maison n'aient pas besoin de les appeler.
Par ailleurs, il existe dans les appartements tout un système de portes et doubles portes que l'on ouvre ou ferme selon le degré d'intimité souhaité.

 A cette époque, les architectes prennent donc en compte les aspects sonores dans leurs projets ?

Oui, et notamment ils pensent le projet en fonction des usages des habitants, une approche qui a eu tendance à se raréfier par la suite.

 Comment expliquer cette régression ?

Cette histoire remonte à longtemps, sans doute à la Renaissance avec l'invention de la perspective, mais elle s'amplifie au milieu du XIXème siècle : l'attention au visuel devient prédominante pour tous ceux qui fabriquent la ville.

Progressivement, une science de l'acoustique se développe, ainsi que des outils de mesure. Le son devient l'affaire de spécialistes et les architectes perdent leur savoir-faire intuitif et empirique de ces aspects. Ils laissent de côté la dimension sensible des bâtiments, oublient d'écouter les espaces. C'est une perte de compétence, un peu comme aujourd'hui l'abandon du dessin à la main. Les projets sont maintenant réalisés sur ordinateur, nous perdons cette approche sensible de la main qui dessine un projet.

Les aspects sonores sont pourtant présents dans les projets, par le biais des normes acoustiques ?

Oui, mais cela va également dans le sens d'un désintérêt pour le sensible ! A partir du moment où les normes règlent la question du bruit, tout est dit ! Les architectes n'ont plus à s'intéresser à l'ambiance sonore, aux usages des habitants, etc. Il suffit de respecter la règlementation relative à l'isolation en fonction du nombre de décibels auxquels est exposé un bâtiment.

C'est d'autant plus "appauvrissant" comme démarche, que le volume de décibels ne dit rien de l'expérience sensible des habitants. Il n'y a pas de vérité objective sur le son, cela dépend du contexte. Un décibel peut être agréable ou désagréable selon sa nature, supportable dans la journée, mais pas lorsqu'on est malade ou que l'on veut dormir, etc.

Qu'en est-il des écoles d'architecture ? Les architectes et urbanistes sont-ils formés à l'écoute des bâtiments ?

Leur formation s'articule autour de différents champs disciplinaires, comme l'histoire, la ville et le territoire, les sciences et techniques, la perception et l'expression plastique, etc. Mais le champ le plus important est celui de l’enseignement de la théorie et de la pratique architecturale.

L'ambiance sonore fait partie du champ des sciences et techniques. Pour qu'elle soit prise en compte par les architectes, dans leur pratique future, il faudrait qu'elle soit abordée lorsque les étudiants travaillent sur leurs projets d’architecture. Cela deviendrait alors pour eux un réflexe.

Depuis des années, les architectes apprennent à bâtir la ville sans s'inquiéter de l'expérience sonore des habitants et continuent dans leur pratique à ne pas s'en préoccuper. Difficile de les blâmer. Personne n'est sensibilisé au sensible, tout le monde est sourd à "l'écoute". Un projet d'architecture doit convaincre en un coup d'œil, sur le visuel. Ce serait intéressant de faire autrement, bien sûr, par exemple de faire écouter aux décideurs des simulations sonores de l'habitat futur. Mais cela nécessite de prendre du temps et peu d’acteurs de l’aménagement sont prêts pour cela.

Y-a-t-il des exceptions ? Des architectes et des enseignants qui, malgré tout s'intéressent à ces aspects ?

Il y a bien sûr des architectes sensibles au "sensible" qui font bien les choses. Mais ils le font, d'une manière relativement invisible, sans mettre ces aspects en avant, sans que cela soit remarqué, ni emporte la décision au final…

Personnellement, comment avez-vous été amené à vous intéresser à ces questions ?

Cela remonte à mes études d'architecture, il y a une quarantaine d'années. Deux de mes professeurs s'étaient associés pour créer un enseignement sur l'écoute. Cela n'intéressait personne dans l'école, nous étions que deux ou trois étudiants à suivre cette formation. En 1979, ces deux professeurs ont créé le Centre de recherche sur l'espace sonore et l'environnement urbain (Cresson) à Grenoble. Je les ai suivis. L'objectif était de fabriquer du savoir sur l'expérience sensible des individus dans les espaces habités et en ville et des outils pour la fabrication de la ville.

Quel impact ont ces travaux ?

Ils ont un certain impact sur les collectivités territoriales, notamment, puisque celles-ci reprennent un certain nombre d'outils et d'approches développés par le laboratoire : comme les balades organisées pour écouter la ville, les cartographies sonores, etc. Les choses mettent beaucoup de temps à bouger, mais la montée en puissance des préoccupations écologiques renforce l'intérêt pour ces questions.

Vous avez publié récemment un "petit manuel de la conception sonore des espaces habités"`. A qui est-il destiné ?

Aux étudiants en architecture et urbanisme en premier lieu, mais il peut intéresser aussi les agents territoriaux qui s'intéressent à la qualité de vie dans et autour des habitats.


Le sujet est important. Si l'on s'intéresse à l'habitat du futur (c'est mon cas, puisque j'ai monté une chaire sur "l'habitat du futur"), il faut se pencher sur ces aspects. L'habitat du futur n'est pas qu'une question constructive (construire de manière éco responsable), c'est aussi une question d'ambiance et d’attention à prendre soin des habitants.

Comment améliorer l'ambiance sonore des logements ?

Il faut intégrer l'écoute dans tous les aspects du projet. Aujourd'hui, parce que c'est une demande forte des habitants, les architectes prévoient des prolongements extérieurs aux logements. Si on prévoit un balcon, il est vital de réussir les "séparatifs" pour préserver l'intimité des habitants. Par ailleurs, il faut innover, prévoir par exemple des dispositifs qui permettent aux habitants de piloter l'ambiance sonore dans leur appartement en fonction des moments et des usages (petit déjeuner, sieste sur le balcon, etc.). Un petit peu sur le modèle des stores qui permettent de filtrer plus ou moins la lumière, selon différentes modalités, mais pour le son.

Nous sommes justement en train d'expérimenter des "chicanes acoustiques" avec des agences d'architecture et l'association Habitat & Partage sur un îlot à Villeurbanne. Ces chicanes permettront de moduler le bruit et notamment de laisser passer l'air la nuit, pour la ventilation naturelle, tout en filtrant le bruit.

Tout compte fait, cela ressemble fortement aux astuces des architectes décrites par Balzac : ces doubles ou triples portes ouvertes ou fermées qui préservaient la quiétude d'une pièce en fonction des différents moments de la journée.

*Olivier Balaÿ, architecte, professeur à l'école nationale supérieure d'architecture de Lyon, cofondateur du Cresson

Le village, situé au cœur du domaine skiable des Portes du soleil, a remporté en 2020 le trophée "ville sonnante de l'année", décerné par la société française de campanologie. Grâce à la richesse de son patrimoine et au dynamisme de sa politique de valorisation des cloches…

"Une ville qui ne sonne pas est une ville qui meurt", selon le slogan de la société française de campanologie, créée en 1987 pour sauvegarder le patrimoine de cloches français. On est donc rassuré sur la vitalité de la commune de Châtel, à la fois village traditionnel et station de ski du domaine des Portes du Soleil : avec 53 cloches pour 1 200 habitants, Châtel n'a pas fini de sonner.

Un héritage de l'histoire, mais aussi d'une politique volontariste de valorisation du patrimoine campanaire menée par le maire, Nicolas Rubin. "La présence de cloches est particulièrement importante en Haute Savoie. Elle a toujours rythmé la vie des communautés villageoises", précise-t-il. Les cloches jouaient le rôle des portables aujourd'hui. Quand on travaillait aux champs, on était grâce à elles informé de tous les évènements de la communauté : naissance, mariage, baptême, décès. Chaque évènement avait sa propre musique, facilement identifiable. "Aujourd'hui encore, si une cloche sonne un décès, on entend les téléphones sonner dans les secondes qui suivent ", explique Nicolas Rubin.

A Châtel comme ailleurs, le patrimoine s'est étoffé au fil des évènements historiques. "L'acquisition d'une nouvelle cloche ou d'un carillon a souvent été liée à un moment symbolique : la fin de la première guerre mondiale, le passage à l'an 2000, etc.", note Morgane Hay, responsable du service Culture et Patrimoine à la mairie. Après la « Grande guerre », la municipalité a souhaité rendre hommage aux poilus. Elle commande un carillon, dont une cloche dédiée à Jeanne d'Arc décorée d'une frise illustrant le conflit. En 2000, un nouveau carillon est installé pour le jubilé, rejoint quelques années plus tard par d'autres cloches à l'occasion du téléthon organisé dans le domaine des Portes du Soleil.

L'art campanaire en plein renouveau

En 2019, la politique de valorisation du patrimoine sonore prend un nouveau tournant, celui de la modernité. Châtel commande une sculpture dotée de 26 cloches. Un nouveau concept créé par l'entreprise Paccard, fondeur depuis 1796, à laquelle on doit notamment la "Savoyarde", du Sacré-Cœur de Montmartre (en 1891) et de nombreuses cloches exportés aux Etats-Unis, Canada, etc.

Baptisée "Frontière", la sculpture musicale dessinée par le plasticien Jean-Marc Bonnard trône au plein cœur du village face aux sommets. "Elle fait aujourd'hui partie de nos atouts touristiques et surprend les visiteurs, étonnés qu'un carillon puisse jouer "I will survive" ou "Aux Champs Elysées". Le mélange de modernité et de tradition les séduit", confie Nicolas Rubin. Et de préciser : "Cette sculpture musicale, c'est aussi la victoire de la générosité. Toutes les cloches ont été financées par des dons de particuliers et d'entreprises. Les uns ont donné 20 euros, d'autres 8 000 euros pour financer une cloche entière".

Aujourd'hui, Châtel valorise son patrimoine de cloches via des visites guidées en période touristique. 

"A travers les cloches, c'est tout l'histoire du village que l'on peut raconter. On propose des parcours ludiques et pédagogiques, avec par exemple un jeu "question pour des cloches". Ça plait beaucoup. ".

Et plus on fouille le sujet, plus on est capté. Ce n'est pas Morgane Haye qui nous contredira. Pour préparer la candidature de Châtel au trophée des villes sonnantes, elle s'est plongée dans les archives et a découvert un monde à part entière, peuplé de passionnés, comme Antoine Cordoba, jeune carillonneur fou de campanologie depuis son plus jeune âge, qui s'est porté volontaire pour réaliser l'inventaire des cloches. "Les cloches, c'est passionnant et mystérieux. Comment du métal peut-il produire un son aussi cristallin ?", s'interroge Morgane Haye.

Les bruits générés par l'activité humaine ont un impact fort sur la santé psychique et physique des animaux et menacent la biodiversité. Un impensé des politiques publiques.
Après les trames vertes et bleues (qui rétablissent les continuités écologiques terrestres et aquatiques pour permettre aux espèces animales de se déplacer), puis les trames noires (qui protègent les animaux nocturnes de la pollution lumineuse), verra-t-on bientôt des "trames sonores", pour limiter l'impact des bruits humains sur la biodiversité ?

La question mérite d'être posée, car les effets nocifs de l'anthropophonie (les bruits générés par l'homme) sur les animaux ne sont plus un mystère. Le sujet est désormais scientifiquement bien documenté.
"Si les décibels "humains" sont trop importants, les animaux ont du mal à communiquer entre eux, ne s'entendent plus. Ou alors ils se fatiguent, comme la mésange charbonnière, car ils doivent chanter plus fort, ce qui entraîne une dépense énergétique supplémentaire", explique Olivier Pichard, chargé d'études biodiversité et aménagement au Cerema Hauts-de-France.
Un niveau sonore trop élevé génère tout un ensemble de nuisances pour les animaux : stress accru, sommeil perturbé, messages brouillés, problèmes de communication et d'orientation (puisque la propagation du son est pour beaucoup d'espèces un indicateur clé pour se déplacer), difficultés à se déplacer pour se nourrir, trouver des partenaires sexuels et se reproduire, etc.

L'impact diffère selon les animaux. Les oiseaux, grands utilisateurs de messages sonores, sont particulièrement touchés. Mais toutes les espèces sont concernées, à des degrés divers, les mammifères terrestres, comme les amphibiens. "La "bonne" nouvelle, si l'on peut dire, c'est que les animaux sont affectés de la même manière que les humains : leur santé psychique et physique est altérée. Prendre soin de l'ambiance sonore des paysages, c'est donc améliorer la qualité de vie de l'homme et des animaux.", note Olivier Pichard.

Si le sujet tarde à s'inscrire dans l'agenda des collectivités territoriales, le terrain n'est pas tout à fait vierge. Des associations et une poignée de passionnés de biodiversité sonore (les audionaturalistes, notamment) mènent des actions de sensibilisation à la richesse des sons produits par la nature, qu'il s'agisse des bruits émis par les animaux (biophonie) ou par le vent, l'eau, les vagues (géophonie).
 Olivier Pichard, audionaturaliste qui opère également dans la sphère du "field recording" fait justement partie de ce microcosme de bénévoles hyper attentifs aux sons qui nous entourent. "A 20 ans, j'enregistrais le chant des oiseaux. Aujourd'hui, je continue à enregistrer les sons de la faune et je propose des balades pour apprendre au public à écouter la nature", explique-t-il. A l'instar d'autres chasseurs de son, comme Jérôme Bailly, journaliste à l'origine du site mécanique des sons, qui propose une cartographie des paysages "so'nord".

Ces initiatives de particuliers commencent à intéresser les collectivités territoriales. Notamment la région Occitanie, qui finance depuis 2020 le projet "biodiversité sonore", pour sensibiliser les habitants à cette richesse sonore. Au programme, des inventaires participatifs des "sites sonores remarquables", des animations scolaires, l'édition de CD, etc.

L'intérêt pour ces questions a monté d'un cran avec la loi du 29 janvier 2021 qui reconnaît les sons et les odeurs comme des éléments du patrimoine commun de la nation, aux côtés des paysages, de la qualité de l'air, des êtres vivants et de la biodiversité. Dans la foulée de la loi, le Cerema, via les travaux notamment du chercheur Julien Pichenot, a commencé à travailler sur la question d'un référentiel des impacts sonores sur la biodiversité. Une première étape vers la mise au point de trames sonores ?

Contact : Olivier Pichard, Cerema Hauts-de-France, au 06 67 76 82 53.

"Si les décibels "humains" sont trop importants, les animaux ont du mal à communiquer entre eux, ne s'entendent plus. Ou alors ils se fatiguent, comme la mésange charbonnière, car ils doivent chanter plus fort, ce qui entraîne une dépense énergétique supplémentaire".